Le bracelet électronique, star contestée de l'aménagement de peine
Le Monde.fr | 10.04.2012Simon Piel
C'est un bracelet qui devait vider les prisons surpeuplées. Avec 66 445 personnes incarcérées, la France n'a jamais compté autant de personnes en détention. Parallèlement, le nombre de placements sous surveillance électronique a augmenté de près de 25 % entre mars 2011 et mars 2012. Selon l'administration pénitentiaire, 8 856 personnes bénéficiaient de cet aménagement de peine contre 6 664 l'année dernière.
Une augmentation marquée de ce mode de surveillance mis en vigueur en 1997 dont les professionnels de la justice dressent un bilan contrasté. S'ils s'accordent sur l'idée qu'il est essentiel de proposer des alternatives à l'incarcération, beaucoup déplorent que cette mesure ne soit pas accompagnée d'une réelle politique de réinsertion.
"Le placement sous surveillance électronique [PSE, voir le descriptif du dispositif sur le site du ministère de la justice] est devenu la panacée en termes d'aménagements de peine, explique Marie-Blanche Régnier, secrétaire générale de du syndicat de la magistrature. Malheureusement, il arrive trop souvent que cette mesure ne soit pas accompagnée d'un suivi socio-éducatif. Un manque qui vide un peu de son sens l'aménagement de peine. Qui plus est, cet aménagement est privilégié aux dépens d'autres comme la semi-liberté ou le placement à l'extérieur." Ainsi, aujourd'hui, 989 personnes bénéficient d'une mesure de placement à l'extérieur et 2 036, d'une mesure de semi-liberté.
Plus modérée, l'Union syndicale des magistrats (USM) cible ses critiques sur le dispositif de surveillance électronique de fin de peine (Sefip) qui, depuis la loi pénitentiaire, permet aux détenus condamnés à une peine inférieure à cinq ans d'effectuer les quatre derniers mois de leur peine à domicile. "Une surveillance organisée automatiquement, attendue par les détenus à qui on ne demande pas d'aménager un projet : c'est contraire à l'idée de réinsertion", explique Virginie Valton, vice-présidente de l'USM. Pour autant, cette mesure reste marginale et ne concerne aujourd'hui que 514 personnes. "Le Sefip est un échec, confirme Martine Lebrun, présidente de l'Association nationale des juges d'application des peines (ANJAP). Vider les prisons, sans projet derrière, ça n'a pas de sens."
Pour la présidente de l'ANJAP, le PSE est une bonne mesure, mais il faut rester prudent. "Il ne faut pas que la France devienne comme la Grande-Bretagne, qui a 50 000 personnes équipées de bracelets électroniques et une population carcérale qui explose. Le risque d'accorder trop largement le PSE serait en effet de voir les tribunaux correctionnels se montrer plus généreux avec les condamnations et prononcer plus facilement de la détention, en sachant que celle-ci pourra s'effectuer avec un PSE." Et la présidente de louer le modèle finlandais qui ne place pas en détention pour des peines inférieures à six mois : "Ils utilisent assez peu le PSE et beaucoup plus le principe des jours/amende. Grâce à cela, ils ont réduit leur parc pénitentiaire de 25 %."
"L'AMÉNAGEMENT DE PEINE DOIT ÊTRE INDIVIDUALISÉ"
Alternative à l'incarcération, le PSE n'en reste pas moins une véritable peine, comme le rappelle Gwënaelle Koskas, juge d'application des peines à Bobigny. "Psychologiquement, c'est un dispositif intenable au-delà de six mois. La personne sous PSE devient en effet son propre gardien, et le risque de le mettre en situation d'échec, s'il ne respecte pas ses horaires de sortie, est grand." En outre, ajoute-t-elle, "c'est une peine qui touche aussi la famille, quand il y en a une, car elle doit s'adapter aux contraintes du PSE. On vit avec, on dort avec, on se lave avec. C'est la version moderne du boulet."
Pour l'avocate Delphine Boesel, spécialiste du droit de l'exécution de la sanction pénale, il est regrettable que "le PSE soit devenu l'aménagement de peine le plus utilisé par les JAP, notamment pour des raisons budgétaires, alors même que d'autres mesures seraient parfois plus adaptées à certaines personnes. Comme par exemple le placement extérieur, qui implique un vrai encadrement social."
"De même, ajoute-t-elle, les juges d'application des peines prononcent moins de libérations conditionnelles simples, en préférant imposer une période probatoire de PSE (ou autre, semi-liberté) car ils ont l'impression de pouvoir contrôler un peu plus la personne condamnée, ce qui reste à prouver, quand on voit le contrôle exercé par les CIP [conseillers d'insertion et de probation], qui sont surchargés."
L'Observatoire international des prisons (OIP) dénonce une autre dérive. "Cette mesure écarte les plus défavorisés d'une alternative à l'incarcération, car elle implique au départ une certaine stabilité sociale", déplore Marie Crétenot, juriste à l'OIP, dans la mesure où le détenu doit justifier d'un logement et d'un emploi avant son placement sous surveillance électronique. "Ces populations vont par conséquent aller jusqu'à la fin de leur peine en prison avec une sortie peu préparée."Une hausse à double tranchant donc, dont certains professionnels expliquent qu'elle répond à une volonté politique. "Le bracelet électronique repose sur une posture démagogique", juge le Snepap-FSU (Syndicat national de l'ensemble des personnels de l'administration pénitentiaire), qui représente les travailleurs sociaux. Il permet aux politiques de dire qu'ils sont d'accord avec l'aménagement de peine, malheureusement, les moyens ne sont pas là." Ainsi, alors que l'étude d'impact accompagnant la loi pénitentiaire recommandait le recrutement de mille conseillers d'insertion et de probation, pour renforcer notamment les capacités du suivi socio-judiciaire allant avec le PSE, seuls quarante-neuf l'ont effectivement été, selon le Snepap-FSU.
Par ailleurs, explique le syndicat, "c'est une mesure symbolique destinée à rassurer l'opinion publique. Mais c'est une vision erronée. Plusieurs faits divers ont montré que ça n'empêchait pas la commission de l'infraction. La libération conditionnelle apporte par exemple un taux de récidive inférieur à celui du PSE. Nous sommes pour l'aménagement de peine, mais il faut que celui-ci soit individualisé."
Céline Verzeletti, secrétaire nationale de la CGT pénitentiaire, regrette pour sa part "une politique carcérale fondée sur la gestion de flux dans laquelle le PSE occupe une fonction importante" et dénonce le poids des lobbies de l'industrie du contrôle et de la punition. Pour la France, c'est la société Datacet qui a remporté l'appel d'offres. En 2011, le budget global du ministère de la justice pour le PSE et le placement sous surveillance électronique mobile était de 19,5 millions d'euros.
Qui peut être placé sous surveillance électronique ?
Le placement sous surveillance électronique concerne aujourd'hui 8 856 personnes. Cette mesure peut être prononcée comme une alternative à la détention provisoire, dans l'attente du jugement, on parle alors d'assignation à résidence avec surveillance électronique (ARSE).
Elle peut être prononcée également comme une alternative à la fin de peine pour les personnes condamnées à une peine inférieure ou égale à cinq ans à qui il reste moins de quatre mois à exécuter. C'est la surveillance électronique de fin de peine (Sefip). Enfin, ce dispositif peut être mis en place dans le cadre d'un aménagement de peine.
Le placement sous surveillance électronique mobile (PSEM) ne constitue pas simplement une alternative à l'incarcération. Il peut être prononcé après la peine de prison dans le cadre d'une surveillance socio-judiciaire puis dans le cadre d'une surveillance de sûreté.
Le bracelet c'est une peine, pas une faveur
Le Monde.fr | 10.04.2012
Simon Piel
Il est 16 h 58 ce lundi de Pâques. Clément monte les escaliers quatre à quatre pour rejoindre son appartement du 19e arrondissement à Paris. Pas question d'arriver après 17 heures. Pas question non plus d'arriver avant et de laisser filer quelques minutes de "liberté". "Je suis sorti à 13 heures, je reviens à 17 heures, comme m'y autorise les modalités horaires de mon bracelet électronique le week-end", explique le jeune homme de 27 ans.
Après quatre ans et demi de détention et un refus de libération conditionnelle simple, il est aujourd'hui dehors. Un aménagement de peine soumis à plusieurs conditions, dont le placement sous surveillance électronique pendant cinq mois. C'est seulement après que commencera sa période de libération conditionnelle. Depuis un mois et une semaine, il ne peut quitter son domicile la semaine qu'entre 6 heures et 19 heures pour aller travailler et quelques heures le week-end, "le temps de faire quelques courses".
"C'est une mesure probatoire, mais si c'était à refaire, je ne referai pas comme ça. J'ai fait beaucoup d'efforts en détention pour étayer ma demande de libération conditionnelle. J'ai passé mon bac, j'ai commencé des études de droit et puis j'ai monté un dossier solide, sérieux, avec une promesse d'embauche pour la sortie." Mais selon lui, le placement sous surveillance électronique est venu s'ajouter comme une peine supplémentaire. "En restant en prison, j'aurais pu toucher quelques grâces [remises de peine] et sortir quasiment au même moment en conditionnelle simple."
Amer, il raconte l'illusion de liberté qu'il expérimente depuis quelques semaines. "Le bracelet c'est une vraie peine. C'est pas une demi-peine ni une faveur. En détention, la libération est anticipée comme un moment d'exultation, mais moi je n'ai pas eu le temps de ressentir quoique ce soit."
"PORTER LA PRISON EN SOI"
Depuis, il travaille comme manœuvre dans le bâtiment. A son grand regret, il a dû arrêter ses études de droit commencées en prison faute de temps. Peu après sa sortie, confie-t-il, il a même été jusqu'à envisager un retour en détention. "Il faut lutter contre cette envie qui n'est pas vraiment réfléchie. La prison n'est pas un univers complexe, il y a des repères. Au bout d'un moment, il y a comme une habitude qui se crée. Dehors, c'est différent. Au début, c'est compliqué. Et puis, aujourd'hui, je fais le larbin sur les chantiers. En prison, j'avais un statut."
A plusieurs reprises en effet, Clément a initié des mouvements de détenus pour faire valoir leurs droits. En 2010, avec l'aide de l'Observatoire international des prisons, lui et d'autres détenus ont fait condamner l'Etat français pour les conditions de détention indignes de la maison d'arrêt de Rouen. Une victoire judiciaire qui lui a valu un passage à l'isolement. Durant ses 4 années de détention, Clément a connu neuf prisons. "C'est ce que fait la DAP [Direction de l'administration pénitentiaire] pour casser les groupes et les liens qui se créent entre détenus."
20 km de course, trois à quatre fois par semaine. C'est l'hygiène de vie qu'il s'impose et qui lui permet de supporter les tensions qui peuvent survenir avec sa sœur chez qui il vit, l'impossibilité de sortir le soir, ou plus dur encore, celle de voyager. "Tout ce dont je rêvais pour ma sortie."
"Le bracelet est un dispositif qui permet d'imposer un moule supplémentaire pour guider la vie de la personne. Une vie de travailleur honnête, probe, qui ne sort pas, analyse Clément. C'est une manière insidieuse de faire intérioriser un comportement pour au final porter la prison en soi."
Quant à l'efficacité du dispositif contre la récidive, il doute. "Statistiquement, ce n'est pas l'aménagement de peine le plus efficace", explique-t-il. "Il y a des gens, par exemple, qui en sont équipés et qui dealent. J'ai même entendu qu'il était possible de l'enlever sans le faire sonner", ajoute-t-il, précisant tout de suite : "Mais moi, je ne veux pas m'évader. Je commence à envisager les choses sur le long terme", après le 31 juillet, date de la levée du bracelet. Quitter Paris, reprendre ses études, et pourquoi pas voyager en Russie dont il a appris la langue en prison avec des codétenus.