"Les alternatives à la prison protègent de la récidive"
LE MONDE | 14.02.2013
Propos recueillis par Franck Johannès
Nicole Maestracci, première présidente de la cour d'appel de Rouen, choisie par le chef de l'Etat pour rejoindre le Conseil constitutionnel en mars, est aussi la présidente du comité d'organisation de la conférence de consensus sur la prévention de la récidive, qui devait commencer, jeudi 14 février, ses auditions publiques. Près d'un millier de personnes se sont inscrites pour suivre les deux jours de débats à Paris, présidés par une magistrate belge, Françoise Tulkens, ancienne juge à la Cour européenne des droits de l'homme. Les 20 membres du jury se réuniront ensuite à huis clos avant de présenter, mercredi 20 février, des recommandations au premier ministre et à la garde des sceaux.
A quoi sert une conférence de consensus ?
C'est une méthode mise au point aux Etats-Unis et qui a été importée depuis quinze ans dans le monde médical. Pour qu'une politique publique puisse être installée durablement et qu'elle soit efficace, il faut qu'elle repose sur un consensus suffisant du grand public et de l'ensemble des acteurs, en sortant du cercle des spécialistes. La question de la prévention de la récidive et, au-delà, du sens de la peine concerne la société tout entière.
Quelles sont les connaissances établies en matière de récidive ?
On sait avec certitude que les peines exécutées en milieu ouvert favorisent moins la récidive que les peines de prison. Et ce, dans tous les cas de figures : on objecte souvent que les détenus qui purgent leur peine à l'extérieur sont précisément ceux qui offrent des gages de réinsertion plus importants et qu'ils ont ainsi moins de risques de récidiver. C'est vrai, et des chercheurs ont essayé de neutraliser ces biais de sélection. Il s'avère que, dans tous les cas, les mesures alternatives protègent mieux de la récidive que la prison. Autre point de consensus, le risque de récidive est 1,6 fois plus grand pour les personnes qui sortent de prison, en fin de peine, sans suivi, plutôt qu'en libération conditionnelle. C'est une donnée indiscutable, dont on n'a pas tiré les conséquences, puisque la libération conditionnelle ne concerne qu'un sortant de prison sur dix.
Il existe ensuite un certain nombre de données sur ce qu'on appelle la désistance, c'est-à-dire la sortie de la délinquance. Il y a des facteurs sur lesquels on n'a pas prise – l'âge, ou le fait de tomber amoureux, qui ont un impact sur la récidive –, mais il y a des leviers sur lesquels on peut agir, l'insertion professionnelle, la sortie des addictions, notamment de l'alcool, les liens familiaux. Mais nous avons affaire à une population très démunie et qui accède difficilement aux dispositifs sociaux de droit commun. Or la réinsertion nécessite à la fois un travail sur la personnalité, la responsabilité et les délits commis, mais aussi la résolution des problèmes sociaux. Sans emploi, sans logement, sans accès aux minimas sociaux, la réinsertion est à coup sûr un échec et la récidive probable.
Qu'est-ce qu'une peine de probation, l'une des mesures que pourrait proposer la conférence de consensus au gouvernement ?
Il existe déjà une peine de sursis avec mise à l'épreuve, qui est aussi une peine de probation, mais elle fait référence à une durée de prison : si vous ne respectez pas un certain nombre d'obligations, vous exécuterez la durée de la peine à laquelle vous avez été condamné. La grande nouveauté de la peine de probation, ou contrainte pénale communautaire, c'est qu'elle serait prononcée sans référence à une durée d'emprisonnement. Après la condamnation, les services de probation et le juge d'application des peines définiraient, après évaluation des besoins sociaux et criminologiques de la personne, le contenu de cette peine, avec des soins, un programme de prise en charge, l'indemnisation des victimes, un travail pour la communauté. Si le condamné ne respectait pas ses obligations, il retournerait devant le tribunal pour qu'on individualise à nouveau la peine, en fonction de l'incident.
Cette peine de probation offre l'intérêt d'introduire plus de lisibilité. Nous aurions ainsi trois niveaux de peine, les peines patrimoniales qui sont les amendes, les confiscations de biens ou de véhicules ; ensuite la peine de probation, qui rassemblerait toutes les peines actuellement exécutées en milieu ouvert, qu'il s'agisse du travail d'intérêt général, du placement sous surveillance électronique ; et enfin la peine de prison. A condition de réfléchir à la nature du suivi, avec quels métiers et quels moyens.
Est-ce un problème de moyens ou d'organisation ?
Les deux sans doute. Mais il n'y a pas que les moyens du ministère de la justice. Les programmes qui fonctionnent à l'étranger s'intéressent aux ressources des personnes pour leur permettre de changer de vie quotidienne et à leur capacité à résoudre leurs problèmes personnels et sociaux. Tous nécessitent cependant des ressources humaines. Or les conseillers d'insertion et de probation ont dans le meilleur des cas 80 dossiers et parfois jusqu'à 150, ce qui rend impossible la mise en oeuvre de programmes suffisamment structurés. Il y a là une vraie difficulté.
Peut-on agir rapidement ?
Il existe différentes hypothèses. Pour les courtes peines, soit l'on considère que certaines infractions ne peuvent plus faire l'objet de peines de prison et doivent être sanctionnées par des peines alternatives. Soit on compte sur l'évolution des mentalités, ce qui nécessite cependant de bouleverser un peu le rituel judiciaire.
Compte tenu de ce que l'on sait sur l'efficacité des libérations conditionnelles en termes de prévention de la récidive, le rôle des procureurs, garants de l'intérêt général, ne devrait-il pas être logiquement d'en requérir plus systématiquement ? Ce n'est pas ce qui se passe aujourd'hui, mais on touche ici à des cultures professionnelles et des représentations du rôle de chacun qui sont profondément ancrées. La conférence de consensus a aussi pour objectif de mettre en évidence les autres choix possibles.