Sonya Faure
Récidive : les peines planchers vers la petite porte
Libération 6 février 2013
 

Les magistrats opposés aux peines planchers commencent à trouver le temps long. Christiane Taubira l’a rappelé lors de ses vœux il y a dix jours : cette loi qui contraint le juge à appliquer des peines minimales en cas de récidive sera abrogée - c’était une promesse de François Hollande. Mais quand ? «Dans les prochains mois», a répondu le chef de l’Etat lors de l’audience de rentrée de la Cour de cassation le mois dernier. Mais difficile de caser une loi justice de plus dans le calendrier des parlementaires, qui doivent déjà débattre de la révision constitutionnelle avant l’été (réforme du Conseil supérieur de la magistrature, du statut pénal du chef de l’Etat etc.) et de la justice des mineurs d’ici la fin de l’année.

En attendant, dans les tribunaux, «des habitudes ont été prises, regrette Pascal Montfort, du Syndicat de la magistrature (gauche). En votant cette loi en 2007, le Parlement a dit aux juges : "L’important c’est de sanctionner la récidive." Et les juges sont légitimistes». Ils continuent donc de prononcer des peines planchers, même s’ils le font de moins en moins. Entre l’entrée en vigueur de la loi et le 1er décembre 2012, 42 596 l’ont été. Mais en 2012, deux fois sur trois, les juges s’y sont refusés, en motivant expressément leur choix, comme le permet la loi.

En octobre, le ministère a diffusé une note statistique. A lire les éléments qui commencent à émerger, il y a urgence à revenir sur la réforme emblématique de Nicolas Sarkozy. Jean-Paul Jean, avocat général à la Cour de cassation, s’est aussi attelé au décryptage de chiffres peu exploités et vient d’en rendre public un bilan implacable, dans le cadre de la Conférence de consensus sur la prévention de la récidive, lancée en septembre par la garde des Sceaux. Selon lui, la réforme était davantage «fondée sur une approche idéologique que sur des sources pragmatiques».

Résultat nul sur les grands criminels

Vendues à l’opinion comme une loi pouvant la protéger des violeurs en série, les peines planchers ne changent en réalité pas grand-chose au sort des criminels récidivistes : avant la loi, «les cours d’assises dépassaient déjà largement, souvent pour les primodélinquants, les peines minima prévues [aujourd’hui] pour les récidivistes», relève Jean-Paul Jean.

Effet lourd pour la petite délinquance

«Conçue pour lutter contre la récidive d’actes graves, la réforme s’applique principalement aux petites infractions répétitives», écrit le magistrat. Certes, les délits sexuels (exhibition, harcèlement, agression…) et les violences en récidive ont été particulièrement visés par les peines planchers. Mais ces infractions étaient déjà les plus lourdement condamnées en cas de récidive. «Le casier judiciaire jouant un rôle essentiel dans la détermination de la peine, les récidivistes étaient déjà condamnés à des peines plus lourdes [que les primodélinquants], l’emprisonnement ferme étant appliqué à 57% d’entre eux contre 11% des non-récidivistes», rappelle Jean-Paul Jean. Mais ce qui frappe, c’est que les peines planchers (ou leur équivalent avant la réforme) pour vol, dégradation ou infraction sur les stupéfiants ont été six fois plus prononcées qu’avant la loi de Nicolas Sarkozy. Pas étonnant : les auteurs de vols, recels et conduite en état d’ivresse représentent à eux seuls trois quarts des récidivistes. Les peines planchers ont durci la répression contre les toxicomanes, alcooliques, victimes de troubles psychiatriques, désocialisés etc. Le magistrat se demande : «Les lourdes peines de prison sont-elles la solution pour eux ?»

4 000 années d’emprisonnement de plus par an

Les peines planchers ont abouti à un alourdissement sans précédent des peines prononcées dans les tribunaux. L’étude compare la période 2004-2006, avant le vote de la loi, à celle de 2008-2010. Entre ces deux dates, les peines minimales (ou leur équivalent avant la réforme) prononcées pour des faits similaires sont passées de 8,4% à 40,7%. La part de prison ferme dans les peines prononcées est passée de 8,2 à 11 mois. La loi sur les peines planchers aurait produit 4 000 années d’emprisonnement supplémentaires par an : environ 4% du total des peines fermes prononcées chaque année. Mais on aboutit à un absurde va-et-vient : deux ans après la loi sur les peines planchers, la loi pénitentiaire est votée, en 2009, qui encourage les aménagements de peines pour limiter la surpopulation des prisons : «Dans ce système, qui en partie tourne à vide, des peines d’emprisonnement sont donc prononcées pour ne pas être exécutées en prison», écrit Jean-Paul Jean.

Mieux vaut voler un portable à Paris qu’à Fort-de-France

Les disparités entre juridictions sont effarantes. Depuis l’entrée en vigueur de la loi, quand les juges parisiens avaient la possibilité de prononcer une peine plancher avec prison ferme, ils ne s’y sont résolus qu’une fois sur trois. Contre 70% à Fort-de-France. Au sein d’une même cour d’appel, chaque juge a sa politique : Amiens est plus sévère que Douai.

Une efficacité difficile à cerner

Entre 2006 et 2010, le taux de récidivistes est passé de 3,9% à 6% pour les crimes, et de 7 à 11,1% pour les délits. Ce qui, à première vue, ne plaide pas pour la loi Sarkozy. Seulement, explique Jean-Paul Jean, ce taux de récidive légale ne veut rien dire. Il «ne traduit pas une augmentation des faits de récidive, mais une augmentation mécanique des cas légaux de récidive, du fait des évolutions des textes et des pratiques des juridictions.» Pour leurs défenseurs, les peines planchers devaient avoir un effet dissuasif. Mais «la stratégie de la dissuasion créée par les peines automatiques ne concerne que les délinquants rationnels, qui calculent le risque de se faire prendre avant d’agir. Cette approche n’a aucun sens pour le toxicomane, la personne ayant un trouble psychiatrique, nombre de délinquants sexuels». Seul aspect forcément efficace de la loi : la neutralisation des récidivistes. En écrouant longtemps un voleur, on l’empêche par principe d’opérer le temps de son incarcération. Mais on n’évite en rien sa récidive.