Récidive : pour une autre prévention
Dans un texte publié par «Libération», sociologues, magistrats et conseillers d’insertion prônent de nouvelles pistes après dix ans de politique sécuritaire.
Par SONYA FAURELes récidivistes, dont Nicolas Sarkozy faisait la figure majeure de ses discours sur la justice, doivent-ils n’être que les repoussoirs de la droite ? Quand on est de gauche, peut-on évoquer, voire tenter de prévenir, la dangerosité des délinquants sans tomber dans le tout-sécuritaire ? Depuis janvier, des sociologues, des statisticiens, des magistrats, des conseillers d’insertion de la pénitentiaire ont tenté de dessiner ce que pourrait être une prévention de la récidive nouvelle, plus efficace. On pourrait aussi dire de gauche… même si, par bien des points - notamment la volonté de s’appuyer sur l’expérience anglo-saxonne, il s’agit d’un aggiornamento. Ils présentent aujourd’hui dans Libération un manifeste, fruit de leur réflexion. «Depuis dix ans, le système pénal français est engagé dans une course à l’abîme. Une véritable frénésie législative - 29 lois pénales votées en dix ans - a conduit à la multiplication des incriminations et des occasions de recours à l’emprisonnement. Les résultats de cette politique doivent être pris pour ce qu’ils sont : le témoignage d’un échec et la promesse d’une faillite.»
Selon la note de synthèse que le groupe de travail a rédigée,«l’enfermement n’est pas efficace à prévenir la récidive». Il faut donc le réserver «aux cas les plus graves». Les auteurs - dont Valérie Sagant et Pascale Bruston, devenues depuis conseillères au ministère de la Justice - prônent la création d’un nouveau type de peine : la probation. Prononcée par le tribunal, elle deviendrait la principale alternative à l’incarcération. Le condamné serait contraint de suivre une évaluation régulière et bénéficierait d’un suivi, voire d’un traitement thérapeutique individualisé, en dehors des murs de la prison, «dans la communauté»(les Canadiens parlent de «sanctions communautaires»).
«Retard». «En France aujourd’hui, l’idée de probation s’incarne surtout dans le sursis avec mise à l’épreuve, qui tend à se résumer au contrôle de quelques obligations (aller chez le psy, rembourser sa victime…), estime Jean-Claude Bouvier, juge d’application des peines à Créteil et coauteur de l’appel. On vérifie que la personne ramène bien ses justificatifs de recherche d’emploi, mais aucun travail n’est mené sur les causes de son passage à l’acte.»
Les travailleurs sociaux chargés du suivi des condamnés, à l’intérieur ou au dehors des prisons, expérimentent bien, chacun dans leur établissement, des programmes de lutte contre la récidive. Mais souvent sans réelle méthodologie scientifique et sans bilan. Les membres du groupe de travail s’en inquiètent dans leur note : «La France a accumulé un retard extraordinaire, n’ayant pas initié une seule recherche sur ce qui marche à prévenir la récidive, quand d’autres pays en ont accumulé des centaines. Il n’existe donc pas en France de véritable outil d’évaluation des facteurs de risques de récidive.» A tel point qu’«on dit encore souvent qu’un homme qui ne reconnaît pas son crime présente de grands risques de répéter son acte… alors que les enquêtes épidémiologiques étrangères montrent que ce critère tient davantage d’un jugement moral des professionnels et n’impacte pas la récidive», détaille une magistrate.
Les auteurs de l’appel s’appuient sur les travaux anglosaxons. Et n’hésitent pas à s’éloigner de l’approche clinique qui prévaut dans le système pénitentiaire français : «Dans la grande majorité des cas, c’est un expert psychiatre qui doit se prononcer sur l’existence d’une dangerosité criminologique. […] Une telle approche, qui relève d’une conception selon laquelle un individu pourrait être intrinsèquement "dangereux",est aujourd’hui critiquée pour son caractère subjectif et aléatoire.» A la place, les auteurs préconisent de s’inspirer des expériences américaine et canadienne : le risque de récidive s’y calcule grâce à des critères préétablis et à des statistiques (la méthode «actuarielle») afin de définir le suivi le plus efficace pour un profil ainsi établi, notamment à l’aide de programmes cognitivo-comportementaux.
Symptômes. Le groupe de travail recense sept facteurs de risques de récidive : les «attitudes et croyances personnelles approuvant le comportement délinquant», les difficultés conjugales, l’absence de loisir, mais aussi des traits de «personnalité antisociale» : «Faible maîtrise de soi, peu de résistance à la frustration…»
Les méthodes actuarielles, expérimentées par les criminologues depuis plus de vingt ans outre-Atlantique, restent très controversées en France. Quant aux suivis cognitivo-comportementaux (également utilisés dans la lutte contre les addictions ou pour le traitement de l’autisme), ils sont souvent accusés de ne proposer qu’un traitement superficiel des symptômes.
La droite s’était elle aussi intéressée à ces programmes en instaurant le diagnostic à visée criminologique (DAVC) dans les prisons. Et la ministre déléguée à la Justice, Delphine Batho, connaît bien les méthodes actuarielles - elle a fait deux voyages d’observation au Québec sur le sujet. Les auteurs du texte l’ont rencontrée deux fois.«Elle nous a dit que ces principes pourraient constituer sa feuille de route», confie l’un des auteurs du texte. Ce qui permettrait à Delphine Batho de donner de la consistance à son portefeuille, dont les contours restent flous.