Franck Johannès

80 % des détenus présentent au moins un trouble psychiatrique

Le Monde | 13.04.2013

Il existe peu de données récentes sur la santé mentale en prison, la dernière enquête d'ampleur remonte à 2006 et ses résultats étaient plus qu'inquiétants : de 35 % à 42 % des détenus sont considérés comme "manifestement ou gravement malades". Huit hommes détenus sur 10 et plus de 7 femmes sur 10 "présentent au moins un trouble psychiatrique, la grande majorité cumulant plusieurs troubles", ont indiqué Frédéric Rouillon, Anne Duburcq, Francis Fagnani et Bruno Falissard dans leur "Etude épidémiologique sur la santé mentale des personnes détenues en prison", pour le groupe Cemka-Eval.
Un millier de détenus ont été tirés au sort dans 23 établissements pénitentiaires (sur 191) et 998 entretiens réalisés entre juillet 2003 et septembre 2004. Les troubles anxieux sont les plus fréquents (56 % des hommes), suivis des troubles thymiques – de l'humeur, notamment la dépression – pour 47 % d'entre eux ; 38 % des détenus incarcérés depuis moins de six mois présentent une addiction à la drogue, 30 % à l'alcool. Et un quart des détenus souffrent d'un trouble psychotique (dont 9,9 % de schizophrènes, 11,4 % de psychotiques, 0,1 % de bouffées délirantes aiguës).

Mais 3 à 4 détenus sur 10 ont à la fois des troubles thymiques et anxieux et le taux de syndromes dépressifs est estimé à 35 % ou 40 % en métropole, soit 8 à 10 fois plus que dans la population générale (les dépressifs sont estimés à 21 % dans les départements d'outre-mer, moins touchés par les troubles mentaux, mais davantage par les drogues). Logiquement, un risque suicidaire est repéré pour 40 % des hommes et 62 % des femmes détenus – le taux de suicide est six à sept fois plus élevé que dans la population générale.

"POPULATION SUREXPOSÉE"

Ces résultats, préviennent les auteurs, sont à interpréter avec prudence : "La perte de contact avec la réalité est un élément central de tout trouble psychotique. Or, la vie carcérale est un facteur de risque majeur de déréalisation." Par ailleurs, l'allongement des peines et des délais de prescription entraîne mécaniquement un vieillissement de la population carcérale, plus facilement touchée par les troubles mentaux : 1,5 % des détenus avaient, au 1er janvier 1970, plus de 60 ans ; ils étaient 2 % en 1997 et 3,5 % au 1er janvier 2010.

"Force est de reconnaître que la prison est un lieu de maladies, le constat est sans appel, indiquait le député Etienne Blanc dans un rapport de 2009. Sur le plan somatique, la population carcérale française reste une population surexposée au VIH, aux hépatites et à la tuberculose, une population fortement touchée par différentes formes d'addiction et à la santé bucco-dentaire profondément dégradée. Sur le plan psychiatrique, le taux de pathologie est vingt fois supérieur en détention à celui observé en population générale et le recours aux soins de santé mentale y est dix fois supérieur."

Christiane Taubira, la ministre de la justice, et Marisol Touraine, la ministre de la santé, ont annoncé après une visite le 1er décembre 2012 à l'hôpital de Fresnes (Val-de-Marne), la création d'un groupe de travail "santé-justice", qui devrait rendre ses conclusions en juin.

Le groupe devrait proposer d'ouvrir les suspensions de peines aux malades mentaux, ce qui n'est pas le cas aujourd'hui, notamment en cas de détention provisoire, comme le souhaitait la sénatrice Nicole Borvo Cohen-Seat. Il souhaite aussi revoir la question des expertises psychiatriques et développer les hébergements pour les détenus malades.